Les jours de mon abandon, est un livre rédigé par une auteure aujourd’hui bien connue, grâce au succès de sa saga littéraire « L’amie prodigieuse », publié en français chez Gallimard depuis 2014. C’est un ouvrage moins populaire d’Elena Ferrante et publié dix ans plus tôt que je souhaite partager, un ouvrage que j’aurais aimé écrire moi-même. Un ouvrage moins médiatisé et pourtant très fort, qu’il est difficile de présenter tant il convoque des émotions personnelles.
Le récit est mené à la première personne. C’est Olga, trente-huit ans, mariée, deux enfants, qui mène la narration. Et quelle narration ! Au début de l’œuvre, cette épouse à la vie exemplaire est quittée par son mari, « abandonnée » du jour au lendemain pour une femme plus jeune. Rien de très original jusque là, et ce n’est effectivement pas dans le récit qu’il faut chercher la perle. C’est dans la manière dont il est mené. Les pages suivantes sont ainsi le monologue intérieur d’une femme en deuil – puisque c’est bien d’un deuil qu’il s’agit, avec toutes ses étapes difficiles à la durée indéterminée. Ne cherchez pas l’intrigue, il n’y en a pas, ou si peu. Une rencontre ça et là, des accidents de parcours, des scènes de violence résultat d’une tempête intérieure qu’Olga ne contrôle pas. Ce n’est que le récit d’une lutte qu’elle mène en son for intérieur, une lutte contre le désespoir d’abord, et puis contre la folie. Et quand Olga n’a plus la force de lutter, c’est son effondrement qui nous est raconté. Par elle, toujours, et c’est là que réside la force de cet ouvrage.
L’auteure nous plonge dans les pensées les plus intimes d’une mère de famille soudainement abandonnée, et elle ne nous épargne rien. Le lecteur suit le fil de ses pensées et l’on sait tous que nos pensées sont souvent loin d’être exemplaires. Souvent donc, on s’applique à les taire. Ici, elles sont exposées dans leur plus grande cruauté. Au point de nous choquer. Le point culminant de la narration est ainsi marqué par la violence de son vocabulaire, une vulgarité exacerbée et une haine non dissimulée qui n’épargne pas même les enfants de l’intéressée. Tout y passe, rien n’est négligé, et c’est tant dans ce qui est raconté que dans la manière de s’y appliquer qu’est partagée la douleur d’un mariage qui a échoué. Et cette lecture est difficile, j’ai plusieurs fois reposé le livre de Ferrante, en colère, m’interrogeant sur la nécessité de cette crudité. Mais c’est une lecture qu’il faut poursuivre jusqu’au bout pour en saisir tout l’intérêt, les réelles qualités. L’auteure va loin dans le partage des émotions de cette épouse trompée et elle le fait je crois avec un certain courage qui me plaît. Elle expose la laideur sans retenue, rassérénée peut-être par un anonymat qu’elle revendique, et qui a crée la polémique au mois de janvier dernier.
Les jours de mon abandon, Elena Ferrante, Gallimard, 2004
Crédits photo © Ally Bing