La journée (des droits) des femmes : une fête commerciale ?

Opération « petit sac rose »  : 20% de remise sur la parfumerie chez Auchan, « Journée de la femme, 24H de shopping follement mode » pour LaRedoute, quant à lui, « Marionnaud célèbre toutes les femmes : -20% sur tout le magasin » ainsi qu’un bracelet offert, s’il vous plait. Et pour couronner le tout, une mairie parisienne organisant des « mises en beauté » pour cette heureuse fête qu’est le 8 mars ! Pardon ?

Jean-Paul Sartre et Simone De Beauvoir se bidonnent bien à la lecture de ces slogans. Quelle blague n'est-ce pas ?
Jean-Paul Sartre et Simone De Beauvoir se bidonnent bien à la lecture de ces slogans. Quelle blague n’est-ce pas ?

RECUPERATION COMMERCIALE

Alors c’est ça ? Toutes ces années de lutte, de textes, de discours, toutes ces femmes qui se sont levées, et toutes celles qui ont eu le malheur d’être entendues trop tard – ou jamais, toutes ces peines, touts ces succès, pour en arriver là ? Une « journée des femmes » pendant laquelle ces jolies dernières bénéficieront de réductions peu généreuses chez les commerçants, de mises en beauté, de fleurs, de rose bonbon et de cadeaux « pour tout achat et dans la limite des stocks disponibles » ?

Ce matin, à l’ouverture de ma boîte mails, j’ai cru défaillir. J’ai l’habitude de la voir surchargée de publicité, un courrier ou deux d’un ami, d’un collègue, se retrouvant noyé au milieu de ces offres en tout genre, j’en ai l’habitude oui, mais aujourd’hui… Aujourd’hui non. Aujourd’hui j’ai été surprise, choquée, puis extrêmement agacée par toutes ces publicités, annonces et réductions. Tous ces slogans ventant la femme et louant son consumérisme. Ces roses rouges, oranges, ces pétales, ces couleurs pastels et ce côté célébration dénaturant cette journée qui devrait plutôt voir fleurir des hommages à de grandes femmes, faire entendre les revendications actuelles, faire connaître la gravité persistante de la situation ici comme ailleurs, me débecte. J’ai la nausée.

Aujourd’hui, je n’ai rien acheté. Et demain, je ne visiterai pas vos magasins. Parce que vous allez contre mes idées, parce que vous faites honte à ma société, que vous faites honte aux femmes. Que je méprise votre récupération outrageante d’une journée qui devrait être politiquement émulatrice, et qui n’est finalement qu’un ramassis de clichés et d’opportunisme commercial.

ET SIMONE DANS TOUT ÇA ?

Simone, si tu étais là, que penserais-tu de tout ça ? Le Deuxième Sexe est mis à l’honneur aujourd’hui, mais pour quoi ?

En 1949, Simone de Beauvoir publiait Le Deuxième Sexe, un essai en deux tomes s’intéressant à la condition féminine, et bâtant en brèche tous les présupposés qui s’attachaient à décrire la mère, l’épouse, la jeune fille sensible, irrationnelle et incontrôlable, pour mieux limiter les possibilités d’émancipation de femmes nageant, perdues, entre deux eaux.

Dans l’un des chapitres, celui de « La Femme Indépendante », l’auteure mettait en avant un paradoxe relativement amusant. Elle observait ces femmes intelligentes et émancipées, travaillant et se suffisant ainsi à elles-mêmes, mais désireuses de garder leur place dans la société, désireuses de plaire malgré tout, et de continuer de s’affirmer en tant que femmes, car femmes elles restaient, malgré leur liberté. Elle pointait du doigt les efforts alors fournis pour « paraître » femme, les robes à fleurs, les rires naïfs, les mises en plis. Elle les observait se démener entre deux représentations d’elles-mêmes, entre deux ambitions qui leur demeuraient contradictoires et qui empêchaient par là de les considérer comme véritablement libres. La femme ne pouvait rester femme si elle voulait s’émanciper, mais alors, elle reniait une partie de ce qui la définissait : peut-on voir là une liberté ?

Aujourd’hui, en ce 8 mars, mais surtout à l’heure où notre gouvernement à donné naissance à un ministère de « la famille, de l’enfance et des droits des femmes » j’ai l’impression que l’aspect émancipation et droit des femmes a été relégué bien loin dans la liste de nos priorités, et que ne reste plus que ce soucis de la féminité qui nous ramène des années en arrière. Hier, on célébrait la femme en ventant sa vertu, sa douceur. On admirait la mère, on recherchait la bonne épouse. On chantait sa tendresse dans des poèmes et des chansons, on haranguait de même au Parlement, pour justifier par sa faiblesse et sa fonction de mère et d’épouse, son droit d’accès aux urnes. Aujourd’hui, on célèbre la femme en lui vendant du parfum, des robes et une année de couches gratuites, pour réduire au silence des revendications de plus en plus diffuses.

UNE JOURNEE POUR NOS DROITS

Le 8 mars est officiellement, et d’après l’ONU, la journée internationale de la femme. Certains, comme le Ministère français du Droit des femmes (à l’époque où il existait encore…), ont choisi récemment de le rebaptiser, pour lui ôter toute équivoque, en « Journée internationale des droits des femmes ».

En effet, le 8 mars n’a pas pour mission de célébrer la femme une fois l’an, mais bien de faire un point sur l’état de ses droits, revendiqués, eux, toute l’année, soulevant par là une nécessité persistante de s’y intéresser, encore et toujours, en France comme ailleurs. Que ces boutiques gardent leurs flacons, leurs essences, leurs huiles, qu’elles rangent leurs robes, leurs chaussures et leurs foulards. Laissez vos portes-monnaies à la maison, ne les laissez pas vous acheter. Lisez Beauvoir, lisez Woolf, écoutez les discours de Simone Veil mais aussi ceux d’Emma Watson ou de Malala Yousafzai ! Lisez aussi ce qu’en ont dit les hommes, parce qu’il y en a eu, qu’il y en a toujours, et que cette lutte ne peut se passer d’eux. Lisez Poulain de la Barre ou Condorcet ! Faites taire ces slogans dégradant et donnez torts aux magasins qui nous assomment par leur sexisme si peu implicite.

Et surtout, n’attendez pas le 8 mars pour faire entendre votre voix. Elle vaut autant que celle des grandes surfaces, des parfumeries, et de ces pauvres gens à la recherche du bon mot qui fleurissent gaiment sur Twitter depuis ce matin.

Faites vous entendre chaque jour, faites valoir votre héritage, continuez d’avancer, d’espérer, de revendiquer.

Merci.

1970 : les femmes manifestent pour l'égalité des salaires à Détroit.
1970 : les femmes manifestent pour l’égalité des salaires à Détroit.

« Le fait d’être une activité autonome contredit sa féminité : elle le sait. La femme indépendante – et surtout l’intellectuelle qui pense sa situation – souffrira en tant que femelle d’un complexe d’infériorité (…) Elle essaiera avec d’autant plus de zèle qu’elle a peur d’échouer : mais ce zèle conscient est encore une activité et il manque son but. Elle commet des erreurs analogues à celles que suggère la ménopause : elle essaie de nier sa cérébralité comme la femme vieillissante essaie de nier son âge ; elle s’habille en petite fille, elle se surcharge de fleurs, de falbalas, d’étoffes criardes ; elle exagère les mimiques enfantines et émerveillées. Elle folâtre, sautille, babille, elle joue la désinvolture, l’étourderie, le primesaut. Mais elle ressemble à ces acteurs qui faute d’éprouver l’émotion qui entraînerait la détente de certains muscles contractent par un effort de volonté les antagonistes, abaissant les paupières ou les coins de la bouche au lieu de les laisser tomber ; ainsi la femme de tête pour mimer l’abandon se crispe. »

Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe

Publié par

Camille

Aspirante-éditrice, chroniqueuse littéraire à ses heures, l'auteure de ce blog est une passionnée de littérature, et grande curieuse du monde des livres à tous ses niveaux.

10 réflexions au sujet de “La journée (des droits) des femmes : une fête commerciale ?”

  1. Je suis d’accord avec ton article, avec ce flot de fleurs et de parfums on dirait plus une St Valentin bis qu’une journée dédiée aux droits des femmes…Après pour bcp de marques toutes les occasions sont bonnes pour engager à la dépense :/ : vacances d’été, de printemps, rentrée des classes, fêtes en tous genres, lendemain de Thanksgiving (alors qu’on ne le fête même pas…) ça donne le tournis…
    Je suis aussi d’accord qu’il y a un débat sur le souci que les femmes mettent à se faire belle : s’agit-il d’une obéissance inconsciente aux contraintes de la société ? Ou d’une forme de liberté ? Parce qu’on peut aussi se faire belle comme on l’entend, avec son propre argent, etc…la réf à Simone de Beauvoir m’intéresse à ce titre parce que dans son roman autobiographique, Les Mandarins, son alter ego est volontiers coquette. Mais je pense qu’elle devait être consciente de ses propres paradoxes 🙂
    Bisous !

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    1. Merci pour ton commentaire, c’est un plaisir de le lire et d’avoir ton avis sur la question.
      En lisant ce chapitre, comme d’autres, j’ai eu la sensation que Simone de Beauvoir parlait beaucoup en son nom. Je veux dire qu’évoquant l’intellectuelle mal à l’aise avec sa position, elle semble se prendre directement en exemple.
      Ma mère qui a lu ses « mémoires » m’a dit aussi qu’elle témoignait de sa lucidité face à sa situation. C’est un sujet qui mériterait d’être creusé je crois 😉

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  2. Tout à fait d’accord, je suis scandalisée par le détournement que les magasins font de cette journée. On s’en fiche d’avoir des réductions sur les culottes ! Ce qu’on veut c’est l’égalité dans les salaires, l’égalité dans tous les domaines ! C’est n’importe quoi !

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    1. Pour la fidèle lectrice que je suis de ton blog, ce compliment de ta part est immense et me touche énormément.
      Merci d’avoir pris le temps de me lire, et de laisser un mot.
      Au plaisir de te revoir un de ces jours par ici, pour ma part j’ai vu qu’un nouvel article m’attendait sur ta page 😉
      Bonne continuation.

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